Dans 50 ans, le féminisme n’aura plus de raison d’être. Les mentalités auront évolué, les stéréotypes se seront effacés, bref le combat sera gagné. Mais comment les médias s’adapteront-ils à cette nouvelle donne ?

 

Et si nous jouions à être des femmes (de 2067) ?

Être à la fois jolie fleur romantique, sportive hors pair, mère parfaite, indépendante financièrement, performante au lit… C’est fini. En ce début de 21ème siècle, le mythe de la femme extra-ordinaire, vanté sur papier glacé ou sur réseaux hyper-connectés, est bousculé. La presse féminine s’affranchit en douceur des diktats sociétaux, sexuels et corporels imposés par le prisme masculin de la société actuelle. Les Superwomen des magazines redéfinissent désormais elles-mêmes, petit à petit, les traits de leur féminitude, repoussant toujours plus loin les limites pour leur émancipation. Jusqu’où ? Quelles seront les réalités sociétales de demain qui modèleront les magazines féminins ?

Et si en 2067, les femmes pouvaient tomber amoureuses de robots humanisés ? Et si, débarrassées de leur cycle menstruel, les femmes regrettaient ce manque de naturel ? Et si les femmes aux antipodes des normes de la féminité actuelle étaient mises en lumière ? Camille Froidevaux-Metterie*, Vincent Soulier* et Lauren Bastide* ont imaginé, pour La Fabrique de l’Info, l’avenir de cette presse spécialisée dans notre magazine imaginé pour l’occasion :  Clito (survolez l’image pour accéder aux interventions de nos spécialistes).

 

 

  • Camille Froievaux-Metterie est professeure de science politique à l’Université de Reims et à Sciences Po. Dans La révolution du féminin (Gallimard, 2015), elle développe une approche féministe soucieuse de réfléchir la corporéité féminine. Elle tient un blog, « Féminin singulier », sur le site de Philosophie magazine

 

  • Vincent Soulier a dirigé pendant 7 ans le Marketing France et International du Groupe Marie Claire. Il est l’auteur de l’essai « Presse féminine, la Puissance frivole », paru aux Editions de l’Archipel.

 

  • Lauren Bastide, ancienne chroniqueuse du Grand Journal sur Canal +, a été rédactrice en chef de ELLE Magazine et du DailyElle.fr. Aujourd’hui, elle fait partie du collectif Prenons la Une.

 

 

 Et si le sexisme ordinaire devenait extra-ordinaire ?

Moins considérées, moins écoutées, moins légitimées… en 2017, les femmes sont encore majoritairement invisibles dans la sphère médiatique. Pourtant, la parité est devenue une norme atteignable, un impératif. Le gouvernement, le CSA, les grandes rédactions, tous s’appliquent à combattre cette injustice.

Mais bien souvent, quand une femme est visible… elle est stéréotypée. La journaliste Françoise Laborde, Présidente de l’association Pour les femmes dans les médias, s’est prêtée au jeu de la déconstruction des clichés féminins toujours présents dans notre presse nationale. Pessimiste, l’ancienne présentatrice du journal télévisé de France 2 n’envisage pas de réelles évolutions des mentalités en 2067, bien au contraire…

 

Parle-t-on d’un homme ou d’une femme ?

Et si en 2067, la réponse n’avait plus la moindre importance. Si la question ne se posait même pas. Oubliez donc la dichotomie masculin versus féminin. Parler de deux genres distincts, c’est créer une différence. Et dans cinquante ans, l’humanité ne sera pas composée d’hommes et de femmes, mais d’un unique genre : l’humain, l’individu générique.

Les médias n’auront donc plus le choix. Exit les « il », les « elle »  et tous les stéréotypes sexistes. Un exemple ? Voici l’histoire de Brigitte Boréale. En 2005, Libé lui avait consacré un portrait. La fabrique de l’info l’a réécrit version 2067, sans genre, sans sexe.

 L’extravagance mesurée par La Fabrique de l’info  Double mixte par Libération

Face caméra, la nouvelle recrue du Grand Journal s’applique. Son sourire franc, son attitude cool et ses airs décomplexés ne parviennent pas à masquer son anxiété. Dans un talk-show, il n’y a pas le droit à l’erreur. Il ne faut pas se planter, pas bafouiller, pas se crisper. Et intervenir dans le bon timing. “Je n’ai peut-être pas encore vraiment trouvé ma place. Même si tout le monde me félicite et m’encourage, je sais que je peux mieux faire”. À 58 ans, le nouvel atout de l’émission phare de Canal +, épaules carrées, cheveux longs et lunettes sur le bout du nez, apprend sur le tas les règles de sa nouvelle aire de jeu.

La télé, ce n’était pas non plus son rêve absolu. D’ailleurs, B. se souvient qu’enfant, c’était le cinéma qui affolait ses passions. L’esthétique des scènes, la finesse des caractères, l’excentricité des personnages. Et quand ses yeux n’étaient pas rivés sur l’écran, ils fixaient l’horizon. À Thionville, dans sa Lorraine natale, l’ado accumule les kilomètres de course. Le sport est son échappatoire, une manière d’extérioriser sa personnalité et de fréquenter des jeunes rebelles et impudents, “des blousons noirs”. L’intello du lycée casse son image. “Foot, volley, handball, arts martiaux… j’ai un peu tout testé. Je me suis fait plein d’amis et surtout, j’ai pu affirmer mon rôle de leader”.

Maîtrise de psychologie sociale en poche, B. n’a pourtant pas de projet professionnel tout tracé. Sa vie, c’est plutôt un enchaînement de circonstances et “de rencontres déterminantes”. Un classique. Sociable et agréable, c’est un jeu d’enfant pour se créer un réseau. Les crampons de foot, les ballons ronds et les terrains synthétiques sont enfin décisifs en 1984. C’est la finale de Coupe de France entre le FC Metz, son club de coeur, et l’AS Monaco. André Campana, le producteur de l’émission Grand Public sur FR3 l’engage pour dresser des portraits de joueurs. S’enchaîne Le Matin de Paris, Libé, L’Équipe… puis Pink TV, de 2003 à 2006. “Cette chaîne m’a beaucoup appris. Gérer le direct, accepter sa propre image, contrôler ses émotions… Tout cela a été très formateur”.

Dans l’exercice, ses chroniques se distinguent par une certaine retenue et une culture générale sans faille. Sa voix grave et posée peut tout aussi bien parler de littérature que de peinture, développer son admiration pour Johan Cruyff comme pour Michèle Morgan. Mais voilà, malgré un parcours journalistique musclé et un dynamisme audacieux, la nouvelle coqueluche du Grand Journal cherche encore, depuis la rentrée, son rôle dans un monde où il est difficile de trouver sa juste place.

Sur ses talons aiguilles, Brigitte culmine à 1,90 mètre . Philippe ne fait que 1,80 mètre. Elle est culottée, il est réservé. Elle a de longues jambes fuselées, il se balade en jogging informe. C’est une sprinteuse ambitieuse qui vit dans l’instant. Lui est un coureur de fond nostalgique et confiant. Elle est tigresse, il est toutou. Brigitte et Philippe ne sont qu’une seule et même personne. Difficile de s’y retrouver. L’état civil ? Age : 48 ans, naissance bourgeoise en Lorraine, yeux bleus, cheveux châtains. Sexe : masculin. Son nom ? «Boréale, parce que je me couche aux aurores. Et, avec Brigitte, ça fait BB comme Marilyn Monroe ou Claudia Cardinale, des doubles initiales qui portent chance», déclare-t-elle. Sur ses papiers d’identité, c’est Philippe Enselme.

Depuis novembre, Brigitte fait enfin le même métier que Philippe : chroniqueur sportif. L’année où Thierry Roland est mis en retraite de beaufitude par TF1, Brigitte Boréale débarque sur Pink TV. «Brigitte et sa grosse batte», annonce le minet présentateur lors de la première du Set, le talk-show de la chaîne câblée gay. «Au début, on s’est dit : un trav’ pour les sports, ça va être too much, note Michel Field, producteur de l’émission. On voyait l’oeil goguenard des invités mais, dès qu’elle commence à parler, ils se rendent compte que c’est une véritable pro.» Dans ses chroniques, lexiques sportifs et sexuels se renvoient la balle : «Vous préférez les prolongations à domicile ou les nocturnes en extérieur ?» Et enfilent pas mal de perles. Mal payées ­ 100 euros le cacheton ­, elles lui ont permis d’aiguiser ses talons et talents médiatiques.

Ce jour-là, Brigitte Boréale arrive maquillée comme une voiture volée au studio d’enregistrement parisien. «Tu peux pas savoir le nombre de crayons de kohl que j’ai usés», confie-t-elle au maquilleur. «Je lui fais une mise en beauté sans appuyer, pour sortir du burlesque», explique-t-il. C’est pas gagné. Son habilleur : «Elle a les épaules trop larges pour porter du Prada, mais les tailleurs de Westwood lui vont très bien. Je rêverais de survêt’ glamour, mais ça n’existe pas.» Côté scène, Brigitte ressemble à une créature d’Almodovar avec bas nylon, minijupe ras la touffe et coeur sur la main. Elle ponctue ses conversations téléphoniques de «bisous, bisous» langoureux. Croise et décroise ses jambes comme des ciseaux. Plus proche du Chouchou émotif de Gad Elmaleh que d’une Priscilla folle du désert, flamboyante et survoltée (…)

Pour lire la suite du portrait écrit par Matthieu Ecoiffier.

Anaïs Moran, Pierre Steinmetz