En 2067, la réalité virtuelle (ou RV) sera partout. Au travail, à la maison, chez nos grands-parents et même… dans le journalisme. Pour éviter les dérives, il est nécessaire d’encadrer la pratique. Voici quelques conseils à l’attention des futurs journalistes RV.

1. Choisir le bon support

C’est une question que tout journaliste se pose : quel est le média le plus approprié pour réaliser mon sujet ? Avec la réalité virtuelle, impossible d’échapper à cette règle. Cependant, s’il ne fait aucun doute qu’elle aura toute sa place dans le futur, quel sera son rôle ? Celui d’un gadget, une nouvelle technologie amusante pour le public ? Ou sera-t-elle une vraie plus-value journalistique ?

Thomas Kent, ancien professeur à l’école de journalisme de Columbia et membre d’Associated Press, s’interroge sur la pratique de la RV dans le futur et l’éthique que le journaliste devra adopter. Selon lui, un journaliste ne doit pas privilégier la réalité virtuelle coûte que coûte. Tout dépend du sujet : un reportage immersif serait très adapté à la RV, tandis que pour un sujet plus explicatif et analytique, le journaliste devrait privilégier un autre support.

« Il doit se demander : est-ce vraiment la meilleure façon de raconter cette histoire ? Est-ce le moyen le plus juste et le plus efficace ? » En effet, il serait tentant d’utiliser la RV en toutes occasions, sans réfléchir à la pertinence journalistique.

2. Penser aux conséquences

En s’immergeant dans l’actualité, le sentiment d’empathie est amplifié. Le spectateur va se sentir davantage impliqué et touché par l’histoire qu’on lui présente, parce qu’il la voit. L’information n’est plus seulement comprise, elle est vécue, ressentie.

La pionnière de la réalité virtuelle, Nonny de la Peña , en a été le témoin, a-t-elle déclaré dans une interview à VoicesofVR. Lors de la diffusion de son film en RV « Hunger », qui met en scène la queue d’une soupe populaire dans laquelle un homme fait une crise cardiaque, les réactions ont été diverses : « beaucoup de personnes étaient en larmes, certains essayaient de retenir la tête de la victime, d’autres ont sorti leur téléphone et ont tapé le 18 avant de se rendre compte que ce qu’ils avaient vu n’était pas réel ».

Belles promesses. Mais qui impliquent de lourdes responsabilités. Si à l’heure actuelle, on ne connaît pas précisément les conséquences de la RV, il est certain qu’elle peut avoir une influence sur le spectateur. Dan Pacheco de l’Université de Syracuse a déclaré lors de la conférence 2015 de l’Association « Online News » que certaines zones du cerveau, habituellement non utilisées en regardant un reportage à la télévision, peuvent être stimulées avec la RV. « J’ai l’impression que le souvenir de cette expérience est resté dans mon corps », a avoué un utilisateur de RV après la projection d’un film de Nonny de la Peña.

Michael Madary, philosophe allemand qui a constitué un code éthique de la réalité virtuelle, appelle à la prudence : « Je pense que, bien sûr, beaucoup de gens seraient perturbés en voyant une zone de guerre. Mais pour certaines personnes ayant des prédispositions aux maladies mentales,  les conséquences pourraient être lourdes ».

Une responsabilité de plus, qui pèsera sur les épaules du journaliste. « Ça rajoute un fardeau », s’exclame Thomas Kent. « On demande au journaliste de devenir expert en psychologie ! » Il devra acquérir des compétences nécessitant des années de formation et d’expérience.

Le journaliste devra-t-il être responsable des troubles que peuvent causer son reportage ? Faudra-t-il ajouter un psychiatre à chaque rédaction ? Le journaliste du futur devra toujours garder ces questions en tête.

3. Reportage objectif, neutralité journalistique

La principale difficulté dans un reportage de RV est d’apporter contexte et explications. Actuellement, on ne peut pas incorporer des images d’archives pour raconter un événement passé. Comme le souligne Thomas Kent, « avec la RV, il y a très peu de contexte car l’accent est mis sur le moment que l’on capte. »

Par définition, on montre donc une réalité simulée, en partie inventée. Le journaliste doit faire des choix artistiques dans son reportage et devient presque un producteur, un réalisateur. Il doit repenser sa manière de construire le reportage, et sa place de narrateur.

La réalité virtuelle peut avoir des conséquences sur le cerveaux, encore méconnues. Photo : Heinrich-Böll-Stiftung.

La réalité virtuelle peut avoir des conséquences sur le cerveau, encore méconnues.
Photo : Heinrich-Böll-Stiftung.

Sa neutralité est encore une fois mise à l’épreuve : « Très souvent, il est nécessaire de deviner un peu, d’ajouter des éléments fictifs à ce que l’on voit vraiment », précise Thomas Kent. Lors de ses reportages, Nonny de la Peña utilise des enregistrements audios réels pour construire la scène en réalité virtuelle. Pour son projet sur la Syrie, elle a filmé des scènes sur place et s’est servie de photos d’enfants dans des camps de réfugiés syriens pour coller au plus près de la réalité. Elle reconstruit après coup en réalité virtuelle ce qui a été filmé ou enregistré. La multiplication des points de vue peut être une autre solution.

4.  Ne pas trahir son spectateur

Avec la réalité virtuelle, le journaliste s’engage implicitement à montrer ce qu’il se passe vraiment au spectateur. En portant un casque RV, celui-ci s’attend à être immergé dans la réalité. Cela pose la question délicate de ce qu’on peut et doit montrer.

Est-ce que montrer une scène de conflit, une zone de guerre, peut avoir un impact psychologique sur le spectateur ? À l’inverse, montrer un champ de bataille sans cadavres ni explosions, n’est-ce pas briser le contrat passé avec le spectateur ? Est-ce qu’on respecte ses attentes ?

Selon Thomas Kent, « avec la réalité virtuelle, le spectateur doit sentir qu’il est vraiment à l’endroit qu’on lui montre ». Impossible, donc, d’occulter certaines choses pour l’épargner. « Il faut que le spectateur soit prêt à voir des choses horribles. »

Mais alors, faut-il prévenir le spectateur de l’arrivée d’une scène choquante ? Même dans ce cas, serait-il conscient de ses limites, va-t-il comprendre la signification réelle de cet avertissement ? La pionnière de la réalité virtuelle journalistique, Nonny de la Peña, a déclaré au site VoiceVR avoir fait le choix de prévenir ses spectateurs avant de leur montrer certaines scènes poignantes.

5. Montrer le vrai

D’une manière générale, les spectateurs ont tendance à penser que ce qu’on leur montre est forcément vrai. Que, parce qu’ils l’ont vu, l’information est forcément exacte. Mais, selon Michael Madary, « ce qu’ils ne réalisent pas, c’est que la manière dont ils voient une scène dans un environnement virtuel peut aussi changer leur perception de ce qui se passe dans la réalité ».

Avec la réalité virtuelle, la manipulation devient donc encore plus facile. En effet, si on croit un fait parce qu’on l’a vu, le phénomène est décuplé lorsque l’on vit l’information, comme c’est le cas avec la RV. « Ça peut être encore plus fort avec ce type de journalisme, car les gens ne vont pas se rendre compte qu’ils sont manipulés. Ils vont avoir l’impression de savoir ce qu’il se passe alors que, bien sûr, ce n’est qu’une seule version de l’histoire. »

Le philosophe allemand conseille au journaliste de toujours viser le vrai. Pour l’atteindre, il conseille également de donner les différents points de vue et les différentes perspectives de l’histoire.

A lire aussi : réalité virtuelle, le futur du journalisme ?

Quelles sont les différences entre la réalité virtuelle et la réalité augmentée ?

Jeanne Travers et Manon Bricard