En une dizaine d’années le numérique a poussé le journalisme et les médias à évoluer à une vitesse galopante. Le journaliste lui, pas tellement. Il a toujours ses deux yeux, deux jambes et un cerveau, même si on pourrait aussi rajouter son smartphone, prolongement naturel de son bras. Pourtant cette situation peut être amenée à changer avec l’amélioration de l’Homme par la machine qui relève aujourd’hui plus de la science que de la science-fiction. Le « super-journaliste » est sur le point de naître, ou d’être construit.

Améliorer l’humain par la machine, c’est ce que souhaite le courant transhumaniste au travers des NBIC, le mélange des nanotechnologies, de la biotechnologie, de l’informatique et des sciences cognitives : toutes les sciences qui sous-tend le transhumanisme. Un homme qui n’a plus besoin de dormir ou de manger, qui peut se connecter à internet grâce à une puce dans le cerveau, dont le sang fourmille de nanorobots qui le soigne de l’intérieur. Ce cyborg est un rêve pour les transhumanistes, un cauchemar pour les autres. Cette révolution technologique annoncée, en plus de poser des questions éthiques et philosophiques, aura forcément un impact sur le journalisme de demain. Mais à quoi ressemblera le super-journaliste ?

Yeux

L’œil n’est au fond qu’une caméra biologique qui transmet les informations au cerveau par des impulsions électriques. Il a pourtant ses limites face à la qualité des caméras actuelles. Pourquoi ne pas intégrer une caméra directement dans le globe oculaire ? Filmer ce que l’on voit ouvre de nombreuses voies au journalisme. Vision infrarouge, télescopique, cette nouvelle manière de penser le reportage permet aussi de réinventer le journalisme immersif. Le documentaire à la première personne permettrait de se mettre à la place d’un autre comme cela n’avait jamais été possible auparavant.

Le documentariste canadien Rob Spence a déjà passé le cap. Après avoir perdu un œil à l’âge de 9 ans, il a décidé de se faire implanter une petite caméra à la place. Se faisant désormais appeler Eyeborg, il filme son quotidien grâce à cet « œil » bionique. Il explique que cela peut être utile pour les reporters de guerre où filmer avec une caméra professionnelle complique forcément les choses.

La science a fait de nombreux progrès en la matière, surtout en ce qui concerne les lentilles de contact augmentées. Se faire enlever un œil pour pouvoir y installer une caméra est quelque peu intrusif. On peut simplement y déposer une fine lamelle de silicone. En 2015, une équipe de chercheurs a dévoilé ses travaux sur une lentille permettant de zoomer en clignant des yeux. Plus besoin de jumelles, votre œil le fait pour vous.

Si l’on regarde du côté de la fiction, la géniale série britannique Black Mirror (qui revient pour une troisième saison) nous présente la prochaine étape de cette évolution. Dans l’épisode The Entire History of You, tout le monde est équipé d’une puce capable d’enregistrer ce que l’on voit et entend. Plus besoin de se reposer sur sa mémoire organique faillible quand tous vos souvenirs depuis votre naissance peuvent être visionnés sur votre télévision. Si cette technologie était disponible, les médias pourraient s’en servir lors de grands événements. Cela permettrait d’obtenir le point de vue de chaque personne y ayant assisté, vérifier la véracité des faits, vidéo à l’appui. Le super-journaliste aussi pourrait transmettre ses souvenirs-reportages à sa rédaction par simple pression d’un bouton.

 

Bouche

Pour David Angevin, auteur de plusieurs livres sur le transhumanisme, mais aussi conseiller en la matière auprès d’Alain Rousset (président de la région Nouvelle-Aquitaine), il y a une erreur que la jeunesse d’aujourd’hui ne devrait pas faire : étudier les langues. C’est une mauvaise nouvelle pour tous ceux qui se sont lancés dans cette voie, mais il est vrai que la révolution technologique rend obsolète de nombreux corps de métier. Angevin explique « on rit beaucoup de Google traduction pour son incapacité à produire des traductions de qualité, mais il ne faut pas oublier que l’algorithme progresse en permanence et il est probable que d’ici quelques années un traducteur automatique écrive mieux qu’Alfred de Musset ».

Dans le domaine du journalisme, supprimer la barrière de la langue permettra une bien meilleure couverture des pays aux langues dites rares, mais aussi une mondialisation de l’information. Le journaliste capable de parler toutes les langues pourra donc aussi présenter l’information à un public lui aussi polyglotte.

Cerveau

L’amélioration qui aura le plus d’impact sur le journaliste sera sans doute l’avènement du cerveau augmenté, assisté par ordinateur. Le cerveau reste le principal mystère en médecine et en biologie. La réalité est que nous n’en savons très peu sur son fonctionnement exact, mais là encore la science progresse à une vitesse phénoménale. Le début des travaux sur l’interface cerveau-machine, aussi appelé interface neurale directe, ne date que des années 1970. Aujourd’hui il est possible de décrypter une partie des signaux électriques qui passent dans le cerveau et les utiliser. Les prothèses les plus avancées permettent d’être contrôlées directement par la pensée et même de recouvrer des sensations comme le toucher. Les expériences sont nombreuses : un singe qui contrôle un fauteuil roulant par son esprit ? Fait. Connecter le système nerveux de deux personnes ou permettre au cerveau humain de ressentir les ultrasons ? Fait. La science n’en est encore qu’à ses débuts mais les progrès sont tout de même époustouflants.

Pour le journaliste, toutes ces évolutions et leurs applications pourront lui permettre de mieux faire et rendre compte de son travail. Cela pose pourtant de nombreuses questions éthiques et philosophiques. Si un cyborg se compose d’une partie Homme et d’une partie machine, pour certains, plus la machine prendra de la place, plus le côté humain disparaîtra. David Angevin, considère lui que cela ne sonne pas le glas du journalisme tel qu’on le connaît. « Il sera très difficile de remplacer l’œil du photographe, l’art de l’interview ou même tout simplement l’opinion par la machine. La dépêche est morte, mais cela veut aussi dire que le futur du journalisme réside certainement dans le qualitatif et non le quantitatif« . Le super-journaliste sera peut-être composé de nombreuses machines qui l’aideront à faire son travail, mais il sera beaucoup plus difficile de le remplacer entièrement. Le journaliste est là pour rester, son smartphone passera juste de son bras à son cerveau.

Alexis TROMAS