Entretien avec ÉRIC MACÉ
Sociologue, il est directeur adjoint du Centre Émile-Durkheim, chercheur associé au CADIS (EHESS) et enseignant à la faculté de sociologie de l’université de Bordeaux. Spécialisé dans les rapports de pouvoir, notamment dans le domaine des médias et de la culture, il a publié « L’après-patriarcat » au Seuil en 2015.
Quel est le rôle des médias dans la cohésion sociale ?
Quand on parle de médias c’est très vaste. On peut distinguer à l’intérieur des médias, l’information et ce qui ne l’est pas (divertissements, fictions, etc.). Les médias-cultures au sens large c’est notre environnement naturel. Au-delà de notre expérience personnelle directe, nous n’avons de rapport au monde que par ce que nous renvoient les médias. Tout ce qui est divertissement, fiction, ça apporte une information, ça produit de la réflexivité, ça alimente cette expérience qu’on a du rapport au monde. Mais l’opinion n’est jamais formée uniquement dans le rapport aux médias. Elle est formée dans les usages qu’on en fait et ces usages sont, en fait, collectifs.
Ce qu’on voit aux informations, on en discute, ça fait partie de la conversation ordinaire, de ce qui fait le monde moderne où l’on ne cesse de commenter ce qui arrive. La fabrique de l’opinion se fait collectivement, même si les gens pensent avoir une opinion personnelle, c’est en réalité un mix entre expériences personnelles et l’ensemble de ces discussions et informations. Le rapport aux médias n’est jamais direct, isolé, il est toujours saisi dans une expérience plus large et un travail collectif d’interprétation.
Qu’est-ce-que les algorithmes changent pour les journalistes ?
Ce qu’il se passe, c’est que nous disposons d’une somme de plus en plus massive d’informations, c’est ce qui diffère par rapport à avant. Le problème qui va se poser, c’est celui du rapport entre le vrai et le faux. On le voit, par exemple, dans la campagne pour le Brexit ou celle pour les élections aux États-Unis. Le nouveau concept qui émerge c’est la post-vérité. Peu importe les faits, puisque les faits sont produits par les experts qui appartiennent à l’establishment, donc ils ne sont pas crédibles. C’est la rhétorique de Trump. La chose à laquelle on doit adhérer, croire, c’est le discours de l’authenticité charismatique. Or, ce qui fait depuis le début l’information dans le journalisme, c’est le rapport entre le vrai et le faux.
Le journalisme s’est inventé comme profession sur cette question. Le B.a.-ba de la multiplication des sources, du recoupement des informations. On n’est pas là pour être le relais des stratégies de communication des sources, on est là pour apporter une plus-value qui est la mise à l’épreuve des stratégies de communication, des rhétoriques des acteurs avec un principe d’authentification obtenu par d’autres sources. Donc, la difficulté qui se présente aujourd’hui, c’est qu’on a de plus en plus d’informations et on a de moins en moins, à la fois dans le public et chez les professionnels, de culture de la différenciation entre le vrai et le faux.
Quelle serait la conséquence d’une information fragmentée par les algorithmes ?
Les algorithmes ce n’est pas forcément la fragmentation, c’est la répétition. Ça enferme les gens dans des bulles d’informations qui vont toujours dans le même sens et ça en soi, ça a toujours été comme ça. Vous achetez Le Figaro, vous n’achetez pas Libération, parce que vous êtes de droite et vous voulez un point de vue de droite sur l’information. Toutes les études de réception qui ont été faites montrent que les gens vont chercher des infos qui vont a priori dans le sens de ce qu’ils pensent déjà.
Avec l’hyper-individualisation de la consommation et les algorithmes, on va avoir des formes technicisées de réduction des points de vue, mais ce n’est pas grave. Le problème ce n’est que l’on n’est pas certain que ces informations qui circulent soient mises à l’épreuve du vrai et du faux. C’est ça le principal problème. Au fond, si on achète Le Figaro parce qu’on est de droite, c’est pas forcément gênant du moment qu’on sait qu’en achetant Le Figaro on achète des informations qui ont été faites par des journalistes.
Quand on reçoit des choses sur Facebook, on ne sait pas d’où ça vient, on ne sait pas qui l’a fait, on ne sait pas si c’est vrai. Donc si ça va dans le sens de nos croyances, on va y croire et c’est là que se fait le décollage, on est vraiment dans la post-vérité. On n’a plus aucun moyen de savoir si c’est vrai, du délire ou de la pure rhétorique. La nature de l’information change.
Propos recueillis par Jaël Galichet et Maïder Gérard