marinEntretien avec JERÔME MARIN

 

Journaliste correspondant à San Francisco pour Le Monde, L’Echo et Le Temps. Il vient de publier dans Le Monde, « Dérapages en série pour les algorithmes de Facebook » .


Un algorithme, c’est quoi ?

Un algorithme c’est un programme informatique tout bête qui prend des décisions. Par exemple, les plus connus, ce sont les algorithmes de Google et Facebook. L’algorithme de Google va définir quelle page s’affiche en premier quand on tape une recherche. Et chez Facebook, il va définir les messages qui s’affichent sur notre fil d’actualité. Ce sont des programmes dans lesquels on rentre des paramètres et ces paramètres vont définir un ordre d’affichage, de priorité. Après, c’est un peu plus complexe, mais pour la version grand public un algorithme, c’est ça.

Quelles sont les failles des algorithmes ?

Pour Facebook, le problème c’est qu’un algorithme n’est pas encore intelligent. Un employé de Facebook m’a dit un jour : « Un algorithme, c’est bête ». Un algorithme, tu lui apprends à faire quelque chose et il le fait mais il n’est pas assez intelligent pour comprendre que des gens cherchent à le pervertir, à le tromper. C’est ce qu’il s’est passé avec Facebook. L’algorithme de Facebook regarde ce qui est le plus partagé par les utilisateurs et à partir de là il définit les sujets populaires en ce moment. Mais il ne va pas chercher à savoir si le sujet est vrai ou faux. Parce que pour lui, pour l’algorithme, il ne pense pas que l’être humain va partager des sujets qui ne sont pas vrais. Donc si c’est partagé, c’est que c’est vrai. Un algorithme n’a pas d’esprit, tout est binaire, c’est zéro ou c’est un. Il ne peut pas savoir si c’est entre les deux.

Les algorithmes vont-ils devenir les rédacteurs en chef de demain ?

Tu peux déjà dire que les algorithmes sont en quelque sorte les rédacteurs en chef aujourd’hui. Si tu regardes la façon dont les gens s’informent sur l’actualité, c’est de plus en plus sur Facebook. Et Facebook, c’est un algorithme. C’est Facebook qui détermine les sujets que tu vas aimer ou pas. Il pense que tu vas aimer ce sujet donc il va te le montrer. Il pense que ce sujet est populaire donc il va te le mettre sur la barre de droite. Donc déjà pour une grande partie des gens, c’est un peu l’algorithme le rédacteur en chef.

Et quelles seront les conséquences dans cinquante ans si on imagine une présence encore plus importante des algorithmes ?

Pour les journalistes, ce n’est pas forcément positif, déjà que c’est un métier en crise. Associated Press utilise déjà des programmes informatiques pour écrire des dépêches. Après pour moi, il y a deux risques en dehors des journalistes. D’abord pour le lecteur, le risque c’est qu’il soit trompé. Le métier de journaliste, c’est aussi de définir ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Quand tu es dans un journal, tu as un nombre limité de pages et il faut choisir ce qui est important et ce qui l’est moins. Si demain c’est un algorithme qui fait ça, l’algorithme fonctionne selon un principe : combien y a-t-il de personnes qui partagent ? Donc il ne peut pas vraiment faire une hiérarchie entre ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Et il y a des sujets qui ne seraient plus forcément traités parce que personne ne les lirait. L’algorithme définirait que ce n’est pas important donc ça ne serait pas affiché.

Ensuite le deuxième risque, c’est qu’un algorithme comme Facebook aurait le contrôle de l’information. Aujourd’hui, avec Google News, c’est Google qui contrôle l’information. Donc si demain tout passe par Facebook, il peut décider -je ne dis pas qu’il le ferait- de ce qui mérite d’être discuté et ce qui ne le mérite pas. Ça c’est un risque un peu citoyen sur la façon dont on sera informé et qui aura le pouvoir sur l’information.

Propos recueillis par Jaël Galichet et Maïder Gérard