« Il faut poser comme problème l’avenir du travail en général, et pas uniquement l’avenir du journalisme ».

André Vitalis est professeur émérite des sciences de l’information au laboratoire MICA de l’université Bordeaux Montaigne. Spécialiste de Jacques Elul, il traitre, à travers des ouvrages comme L’incertaine révolution numérique (ISTE éditions, 2016) ou Informatique, pouvoir et liberté (éd. Economica, 1981), de l’avenir de l’information et de ses rapports à la technologie et aux pouvoirs.

Le monde des médias est en mutation accélérée. Quel regard portez-vous sur cette transformation ?

Je viens de publier un livre sur “L’incertaine révolution numérique”, aussi c’est par rapport au numérique que j’ai envisagé la transformation accélérée des médias. Le numérique apporte deux grandes transformations : la fin du monopole sur la production de l’information – le numérique outille tout un chacun pour s’exprimer et donner une information, et deuxième chose, une information gratuite, qui est offerte par Internet, qui concurrence l’information produite par les médias, qui par définition a un coût. Et donc, on ne va pas dans le sens de la qualité.

Peut-on imaginer, en 2067, une presse « contre-pouvoir » ou au contraire y aura-t-il main basse des pouvoirs politiques sur l’information ?

Il est important de voir ce qui se passe. Aujourd’hui c’est plus une mainmise des pouvoirs économiques sur l’information – il n’y a qu’à voir les propriétaires des médias, où il y a beaucoup de marchants de canons, disons, pour simplifier – plus que le politique. Je pense que l’on va dans un monde où la dimension économique semble prendre de plus en plus d’importance, et, comme chacun peut le constater, où le politique a de moins en moins d’influence. Donc, à mon avis, le contre-pouvoir de la presse est plutôt menacé par la main mise des pouvoirs économiques.

Quel modèle économique pourrait émerger en 2067 : le tout indépendant à la Médiapart ou des grands groupes qui contrôlent l’information en la rachetant ?

C’est Keynes qui disait “on est tous morts dans les grandes prévisions”. C’est-à-dire que l’on peut avoir un grand niveau de compétence et ne pas savoir ce qui va se passer dès lors que ça dépasse les cinq années à venir (il n’y a qu’à voir les prévisions économiques). Donc, à moins d’être prophète… Disons que je n’ai pas d’avis là-dessus.

Réalité virtuelle, caméra 360°, robots-journalistes… Le journaliste aura-t-il encore une place en 2067 ?

Là je dirais que peut-être, le journaliste a un avenir, mais à mon avis, cela reste aussi difficile à prédire. Ce qu’il faut savoir en revanche c’est que des économistes d’Oxford ont publié des études qui montrent que dans les 10-15 ans à venir, 40 % des emplois seront supprimés par le numérique. Le problème, c’est l’avenir du travail en général dans la société numérique, et pas uniquement l’avenir du travail du journaliste. Il faut donc se pencher sur des solutions comme le revenu universel pour mieux envisager le futur.

Dans cinquante ans, comment le journalisme jouerait-il son rôle dans un monde où la religion ou le rapport au sacré se seraient peu à peu imposés ?

On ne reviendra jamais en arrière. Toute société a été basée sur la religion avant le XVIIIe siècle. Elle était très importante. Le problème c’est que le sacré n’est pas toujours formalisé dans une religion. Il peut se porter sur d’autres objets.

En 2067, l’humanité aura-t-elle réussi à répondre à l’urgence écologique et si oui ou non, quel rôle tiendraient les médias dans ce monde-là ?

Si d’ici 2067 l’humanité n’a pas répondu à l’urgence écologique, alors disons qu’elle ne sera plus là dans cinquante ans, et que par conséquent les médias non plus ! Donc s’il y a urgence, on y répond, et si on n’y répond pas, la question ne se pose plus.

Propos recueillis par Vincent Chevais et Pascal Gaud